16 juillet 2014

La Coupe du monde et les Népalaises

« C’est compliqué » pourrait être le statut Facebook idéal pour résumer la situation amoureuse entre les filles et le football. Une relation qui m’a donné l’occasion d’assister à des débats toujours très animés en France, à l’île Maurice ou Madagascar. Et comment ça se passe au Népal ? (Crédit photo : Stéphane Huët)

Il paraît que la Coupe du monde 2014 a été « la plus sexiste de l’histoire ». C’est Matt Gaw qui l’écrit sur telegraph.co.uk (traduction sur le site de Courrier International). Ce journaliste britannique regrette que les supportrices soient « réduites à des clones de jolies nanas en maillot ».

« Montrez-nous des jolies filles !« 

Il n’a pas tort. Pendant le match Argentine-Suisse, un téléspectateur à côté de moi s’est exclamé « montre-nous des jolies filles : on se fait chier à voir ce qui se passe sur le terrain ».

Je ne vais pas prétendre avoir été outré. J’ai souri en entendant cette phrase. En plus, moi aussi je me faisais vraiment ch*** devant ce huitième de finale. On se souvient aussi de la « Bellissima » de qui on a un peu parlé après le match Uruguay-Colombie.

Des filles pleins les magazines népalais

Certains médias népalais ont recours aux mêmes méthodes. Quasiment tous les magazines anglophones qui ont fait leur « Une » sur la Coupe du monde avaient des filles en couverture. En feuilletant ces publications, j’ai remarqué que les articles n’avaient absolument aucun rapport avec la mise en scène de leur première page.

Couvertures de trois mensuels népalais pendant la Coupe du monde 2014. De g. à d. : Living, Wave et Vida © S.H
Couvertures de trois mensuels népalais pendant la Coupe du monde 2014. De g. à d. : Living, Wave et Vida © S.H

Un article de Wave détaille les raisons pour lesquelles le Népal n’ira jamais à la Coupe du monde. Les dix pages sont rafraîchies par des photos de filles avec le visage peint aux couleurs de quatre grandes nations du foot  – Italie, Brésil, Argentine et Allemagne – et du Népal.

Dans Living, les photos des filles portant des maillots d’équipe du Mondial sont simplement légendées par le nom et l’âge du modèle, sa courte biographie, l’équipe qu’elle soutient et sa réponse à la question : « Qu’est-ce qu’un mec doit avoir pour la séduire ? ». Je ne suis pas sûr que ça ait vraiment un rapport avec la Coupe du monde.

Enfin, le modèle Niti Shah a l’occasion de dire que pour elle, « le foot c’est un grand moment de rassemblement » en deux lignes au milieu de six pages de photos dans Vida.

Movers & Shakers du groupe Kantipur Publications a même rajouté un peu de boue pour donner un côté érotique du mud fight (via Kantipur)
« Movers & Shakers » du groupe Kantipur Publications a même rajouté un peu de boue qui donne un effet mud fight (via Kantipur)

Si pour quelques <Occidentales cela peut sembler évident que les filles en couverture, « c’est pour faire vendre », les Népalaises à qui j’ai posé la question n’ont pas la même lecture. Smriti n’est pas choquée car « c’est le même traitement de l’information pour chaque Coupe du monde ». Jenija pense que ce n’est qu’un tout petit peu de marketing parce que « oui, les garçons aiment bien voir les filles avec les maillots de foot. Mais beaucoup de Népalaises s’intéressent vraiment au foot ». Sauf que les magazines ne le font pas ressortir.

Beaucoup de supportrices dans les bars népalais

Effectivement, pendant cette Coupe du monde au Brésil, j’ai pu voir beaucoup de filles dans les bars. Certes, il y avait plus de garçons, mais comparant aux bars des autres pays que je connais, la proportion de filles était plus élevée.

On pourrait penser que celles-ci accompagnaient docilement leurs compagnons. Mais les filles étaient aussi animées que les garçons. J’en ai même vu qui soutenaient l’équipe qui s’opposait à celle de leurs copains. Et il y avait pas mal de tables occupées uniquement par des supportrices.

Alors serait-ce un intérêt subit et éphémère à l’occasion de la Coupe du monde ? Il y en a pour qui c’est le cas. Comme Neemila qui aime le foot sans plus. Le soir de Pays-Bas-Argentine, elle portait un maillot des Oranjes. « C’est plus sentimental, parce qu’on a des amis néerlandais », clarifiait-elle. Yuvraj, son mari, confirmait : « C’est vrai, on y va souvent. Mais moi je supporte quand même le Brésil ! »

9 juillet, Sport Bar de Jhamsikhel - (d g. à dr.) Neemila supportrice des Pays-Bas, Kaki supportrice de l'Argentine et Yuvraj supporteur du Brésil © S.H
9 juillet, Sport Bar de Jhamsikhel – (d g. à dr.) Neemila supportrice des Pays-Bas, Kaki supportrice de l’Argentine et Yuvraj supporteur du Brésil © S.H

À côté de Neemila, Kaki avait le maillot de l’Argentine. Mais ce n’était pas par amitié : « Je supporte l’Argentine depuis les trois dernières Coupes du monde ». Et Yuvraj de commenter : « Au Népal, on aime beaucoup l’Argentine parce qu’elle a des joueurs populaires comme Maradona et Messi ».

Jenija n’aurait pas apprécié cette remarque. Elle en a marre de ceux qui pensent que les filles n’aiment le foot que pour les stars. « Le pire c’est quand on me dit que je regarde le foot pour mater les beaux footballeurs ! » s’offense-t-elle.

Les regards déjà tournés vers l’English Premier League

Non, Jenija aime le beau jeu. Il lui arrive d’être « un peu agressive » pendant les matchs. C’est peut-être pour ça qu’elle préfère être seule pour les regarder. Aussi parce qu’elle accorde toute son attention aux commentaires et les analyses d’avant-match, d’après-match et pendant la mi-temps. « D’ailleurs, John Abraham n’avait rien à faire en tant que consultant sur Sony Six. C’est seulement parce qu’il a tourné dans un film qui s’appelle Get Set Goal »

Comme son amie Smriti, Jenija soutenait les Pays-Bas pour le Mondial 2014. Elles ont grimacé quand je leur ai demandé si elles allaient regarder le match de troisième place. Le soir de la défaite des Pays-Bas en demi-finale, Smriti et Jenija étaient déjà passées à autre chose : le début de l’English Premier League le 16 août. Les deux sont fans de Manchester United et sont impatientes de voir les merveilles que va faire Louis Van Gaal avec leur équipe favorite.

Contrairement à ce qu’on peut ressentir à Abidjan, il semble qu’au Népal, les garçons ne sont pas embêtés par les questions des filles qui veulent comprendre les règles du football. « J’ai tout appris en regardant les matchs avec des amis garçons. Ils sont plutôt contents de partager leur passion avec nous », me dit Jenija.

Une passion disproportionnée ?

Malheureusement, parfois la passion prend des proportions démesurées. Les fans de football au Népal ont été un peu déconcertés en apprenant qu’une fille de 15 ans, fan de la Seleçao, s’était suicidée après la lourde défaite de son équipe en demi-finale contre l’Allemagne.

Le soir de la finale, il y avait encore beaucoup de dames au Sports Bar. Elles criaient « Germany » ou « Argentina » et se levaient de leur chaise à chaque belle action. J’ai surtout remarqué qu’une portait un ancien maillot de la Mannschaft floqué de « Ballack » et le numéro 13. Là, on ne pourra pas dire qu’elle a commencé à supporter l’Allemagne après le 7-1 de Stade Mineirão à Belo Horizonte (sauf si elle l’a emprunté à sa grande sœur).

Mais alors, les Népalaises fans du ballon, elles pensent quoi du football féminin ? Pas grand-chose, en fait. Elles ne le regardent pas – même si certaines sont elles-mêmes des footballeuses. Smriti pense que le niveau du football féminin n’est pas assez haut pour que les matchs soient diffusés sur les grandes chaînes, mais elle serait « plus qu’heureuse de pouvoir apprécier un match de football féminin ».

N° 228 de Fr!day Weekly via (Fr!day Weekly)
N° 228 de Fr!day Weekly (via « Fr!day Weekly »)

Au moins Abhishek Mishra a eu la bonne idée de profiter la Coupe du monde pour mettre en avant l’équipe féminine du Népal. Son article « The Chelis[1] are here » est en double-page dans le magazine Fr!day Weekly. On y apprend que cette équipe a été créée en 1986, qu’elle est classée 92e (l’équipe masculine est classée 164e sur 207) et que sa gardienne de but, Chandra Devi Dahal, n’a pas de travail à côté puisqu’elle vie uniquement de sa passion, le football.

Les Chelis participeront au prochain SAFF Women’s Championship qui aura lieu au Pakistan en novembre. Au Népal, on se permet d’espérer à un succès comme elles ont terminé deuxième aux dernières éditions de cette compétition. Après le cricket, le Népal va probablement me rendre accro au football féminin.

►►► Pour retrouver tous les articles de Stéphane Huët, Mondoblogueur mauricien qui vit au Népal, cliquez ici.


[1] « Nepali Chelis » est le surnom de l’équipe féminine du Népal. « Chelis » veut dire « sœurs » en népali.

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