Serge

Brésil: les manifestations cachent aussi un conflit générationnel

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Crédit : Ivan Zuber / Flickr.com

Etre blogueur exige parfois que l’on soit indiscret, comme hier soir alors que j’attendais tranquillement mon tour pour être reçu par le gérant de ma banque. Un regroupement  dans un coin de la banque attire mon attention; d’autant plus que, chose rare, un couple de vieux retraités constitue le noyau dur du débat. Au cœur de la discussion, les probables manifestations qui secoueront le Brésil pendant le Mondial.

Avec l’assurance qui caractérise sans doute les personnes de sa génération, le vieil homme, un peu plus de 70 ans apparemment et de race blanche, prononce des mots dont je ne distingue qu’une vague partie: « Seuls des vagabonds sont capables de cela… « . Tiens donc, me  dis-je. Intrigué, je m’approche du petit groupe dans le but d’en savoir davantage, car mon instinct de blogueur me souffle qu’il y a là matière à billet.

« Oui, vraiment, ce sont des voyous, des chômeurs. Le gouvernement leur donne tout ce qu’ils veulent et ils vont dans la rue manifester, casser les commerces d’honnêtes gens… Ce sont des vagabonds ! » , hurle-t-il dans une colère à peine contenue provoquant, bizarrement, un rire généralisé dans la banque. Bon, les temps sont autres, désormais l’indignation des personnes âgées fait sourire…

Moi, je regarde la scène et me dis: « intéressante perspective. Voilà donc un homme qui a grandi pendant les années de vaches maigres et qui ne comprend pas cette jeunesse brésilienne qui en demande plus qu’il n’a jamais eu à 25 ans ».

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Crédit : miguel mesquita2012 / Flickr.com

Une bonne femme, née au sertão paraibano, la région la plus aride du Brésil, m’a laissé la même impression en m’avouant avec une sincérité émouvante son optimisme :

« Mon fils, il est très agréable de vivre à cette époque. Là où j’ai grandi, il n’y avait ni école, ni voiture qui passait, aucune opportunité. Aujourd’hui, dans cette même ville, tous les jeunes ont une moto ou une voiture. Si quelqu’un aujourd’hui n’a pas de quoi vivre, c’est parce qu’il le veut. Heureusement que Dilma fait tout cela pour les pauvres. Certaines personnes pensent que les pauvres ne sont pas intelligents mais il nous manque juste des opportunités. Jusqu’à ma génération, dans ma famille, tout le monde était analphabète, cela a changé avec ma fille », finit-elle, le sourire aux lèvres avant de me bénir.

De son côté le vieil homme de la banque poursuit sa réflexion: « J’ai vu de mes yeux, à Rio, un homme pleurer parce que des manifestants avaient détruit son travail construit en quarante ans d’une vie. Qui peut accepter cela ? « , s’interrogea-t-il devant une assistance incapable de lui répondre si  ce n’est par un sourire moqueur, presqu’outré par la sénilité du vieillard.

Image creative commons / flickr.com
Image creative commons / Flickr.com

Je me rappelais d’une discussion avec un collègue, idéologiquement de gauche, comme toujours, qui défendait le fait que des manifestants détruisent des biens publics, voire privés, « au nom de la révolution ». J’essayais de lui expliquer qu’un commerce vandalisé signifiait peut-être un ou deux emplois perdus et des familles sans ressources... en vain ! Pour mon collègue, visiblement enivré par la démagogie, l’ordre social actuel est tel que pour éradiquer les injustices, seule la violence conviendrait.

La devise inscrite sur le drapeau brésilien, « ordem e progresso« , ne fait plus rêver, l’enchantement provoqué par les années Lula est passé.

Je me sentais solidaire du vieillard et de ce pauvre homme de Rio qui avait perdu son « travail de quarante ans ». Mais d’un autre côté, je ne peux ignorer la détresse d’une bonne partie des Brésiliens que l’émergence du lulisme semble avoir laissé pour compte.

 

 

Ce sont eux qui descendent dans la rue, aux dépens d’un vieil homme et de sa femme qui ne demandent qu’à couler des jours paisibles au crépuscule de leurs vies.

C’est curieux que ce soit dans une banque et dans des circonstances inespérées que cette nouvelle perspective sur les manifestations sociales me soit apparue avec une telle clarté. Par ailleurs, c’est dans une conversation banale avec une bonne dame que j’ai pu me rendre compte aussi que le Brésil a effectué un grand saut en avant en l’espace d’une génération.

Ce mal qui touche la France, l’Afrique ou la Chine frappe également le Brésil: l’avenir dépendra aussi du règlement pacifique de ce conflit générationnel.


Les évangéliques brésiliens n’aiment pas la Coupe du monde

Le climat du mondial est très visible dans les villes brésiliennes / carioca plus
Le climat de tension autour du Mondial est très visible dans les villes brésiliennes (Crédit photo : Serge Katembera/ Carioca Plus)

Le football est, paraît-il la religion des temps modernes. Pas tout à fait si l’on en croit les dernières déclarations du « Bispo » Edir Macedo, pasteur-chef de la plus importante église évangélique du Brésil, qui appelle ses fidèles ouailles à boycotter la Coupe du monde.

« Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi », semble dire le « bon pasteur » qui recommande aux fidèles une période d’abstinence médiatique pendant un mois.

Un effort réclamé – comme par hasard – au mois de juin, alors que le Brésil sera totalement emporté par la vague émotionnelle de la #CopaDasCopas, la Coupe des coupes, selon la légende, qui bénéficie d’un hashtag créé par la présidente Dilma Roussef en personne.

Un pasteur… et un conflit d’intérêt

Dans une vidéo postée sur YouTube, le leader de la Igreja Universal de Deus, Edir Macedo appelle les Brésiliens à faire une retraite spirituelle « dans le but de se rapprocher du Seigneur ».

Ce que le pasteur occulte dans cet appel apparemment désintéressé, c’est la position de conflit d’intérêt dans laquelle il se trouve. En effet, Edir Macedo est le propriétaire du deuxième groupe de l’audiovisuel du pays, la Record, principal concurrent de la Rede Globo en matière d’audience.

Or le « bispo » Edir Macedo n’a pas réussi à acquérir les droits de diffusion de la Coupe du monde 2014, détenus par Globo. Par contre, les droits de retransmission des Jeux olympiques de Rio 2016 ont été rachetés par le réseau Record. Les deux prochaines éditions de la Coupe du monde, quant à elles, demeurent la chasse gardée de la Rede Globo.

 Les drapeaux brésiliens sont déjà de sortie

On se demande alors si le pasteur aura le même esprit d’abstinence dans deux ans lorsque sa chaîne de télévision sera directement impactée par son appel au boycott.

En entendant, dans les grandes capitales, l’omniprésence des drapeaux brésiliens annonce que l’engouement populaire autour de la Coupe du monde n’est pas affecté par les déclarations opportunistes du « bispo »

Serge KATEMBERA, Mondoblogueur congolais qui vit au Brésil